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Pour une Wallonie qui s'inscrit dans les limites de la planète

Mémorandum de Canopea - Legislature 24-29

1. PARTIR DU MONDE TEL QU’IL EST

Canopea est une organisation réformiste qui veut partir d’un diagnostic réaliste et proposer un trajet de transformation de notre société. Les recommandations présentées dans ce mémorandum entendent ainsi être les premiers jalons d’une transformation inscrite dans une vision définie à l’horizon 2050. La Belgique, et a fortiori la Wallonie, ne dispose bien évidemment pas de tous les leviers pour influer sur son futur. Notre région s’inscrit dans la marche du monde qui fixe pour l’essentiel son cadre culturel, politique, réglementaire, environnemental. Le repli sur soi n’est donc pas une option, même si les flux de matières et d’énergie doivent forcément être rationalisés et donc relocalisés en partie. 

A ce titre, notre vision s’inscrit dans une logique résolument européenne, mais dans une Europe qui devra continuer à progresser sur les enjeux énumérés dans ce document. Nous croyons que l’Europe, notamment au travers de la Belgique et de la Wallonie, doit être le laboratoire d’un nouveau système politique, social et économique qui respecte les limites de la planète tout en maintenant un haut niveau de prospérité, réparti de manière équitable. Le monde que nous proposons est construit en partant de tous les éléments qui constituent le monde d’aujourd’hui : infrastructures, institutions, croyances, etc. Nos propositions s’inscrivent dès lors dans une logique de transformation nécessaire du système économique, politique et social actuel. 

 

2. ACCEPTER L’AMPLEUR DU DÉFI

Les travaux du GIEC et de l’IPBES ne laissent pas de place au doute : c’est aujourd’hui l’habitabilité même de la planète qui est en jeu. Les scénarios business as usual nous amènent vers un monde où une société « prospère » – au sens où beaucoup l’entendent encore trop aujourd’hui – ne peut perdurer. Et la cause première réside dans l’impact des actions humaines sur notre environnement naturel. Des changements profonds dans notre mode de vie sont donc inévitables.

Trop souvent, les « leaders » politiques et économiques continuent à s’exprimer et à agir comme si le problème environnemental n’existait pas. Les citoyen·ne·s, même pris·es dans certaines contradictions à leur échelle, perçoivent de plus en plus l’insuffisance de la réponse politique face à la situation. Et quand la situation est difficile, dire clairement le diagnostic est une information vitale. Il ne s’agit pas d’être paralysé par la peur, mais d’avoir conscience de la gravité de la situation pour agir de manière pertinente.

En 2022, deux nouvelles limites planétaires ont été dépassées : celle de la pollution chimique et celle du cycle de l’eau. Cela élève à 6 le nombre de ces limites (avec celles du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité, des perturbations globales du cycle de l’azote et du phosphore et des changements d’affectation des sols, toutes dépassées au cours des dernières années) et nous rapproche un peu plus de seuils dangereux et parfois irréversibles.

Figure 1 : Le fameux graphe de Johan Rockström développé par l’Université de Stockholm qui définit 9 barrières environnementales à ne pas dépasser sous peine de générer des changements environnementaux abruptes ou irréversibles. Cinq de ces frontières étaient dépassées en 2022 : biodiversité, chaîne phosphore et azote, affectation de sol, changements climatiques, polluants environnementaux.

Les impacts du changement climatique sont de plus en plus présents dans toutes les régions du monde. La Wallonie n’y échappe pas. Ceci affecte tant les sociétés humaines que le reste du vivant. Le réchauffement moyen actuel est de 1,2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, et il se poursuit à un rythme soutenu, de près de 0,2°C par décade. Les impacts, qui sont déjà nettement plus visibles et étendus qu’il y a une ou deux décennies, vont se renforcer au fur et à mesure que le réchauffement se poursuit. Au-delà de 2°C de réchauffement moyen, il n’est pas possible de dire si notre civilisation (société démocratique organisée) pourra se maintenir, ni avec quelle dégradation des conditions de vie. Plusieurs écosystèmes disparaissent à ces niveaux.

En parallèle, la biodiversité connaît un déclin d’une rapidité sans précédent dans l’histoire de l’humanité. L’indice Planète vivante du WWF montre que les espèces de vertébrés qui font l’objet d’études (mammifères, oiseaux, poissons, reptiles et amphibiens) dans le monde présentent un taux moyen de déclin de la taille des populations de 69 % entre 1970 et 2018. On estime qu’un million d’espèces seraient menacées d’extinction. En Europe, 27 % des espèces et 66 % des habitats sont dans un état de conservation défavorable. Et la situation est encore pire en Wallonie, où les indicateurs de biodiversité sont historiquement au plus bas, en particulier au sein des milieux agricoles. 

La pollution – chimique, atmosphérique, lumineuse, sonore, etc. – continue d’exercer une pression considérable sur nos écosystèmes, menaçant la viabilité de notre planète et les êtres vivants qui y habitent. En Belgique, plus d’1 décès sur 10 est attribué à la pollution environnementale. Cela engendre des coûts exorbitants pour la société : rien que la pollution atmosphérique coûterait en moyenne 1285 € par an par Belge. Cette pollution ne nous impacte pas tou·te·s de manière égale, affectant de manière disproportionnée les groupes socialement défavorisés et vulnérables de la population

Les conséquences de ces dégradations environnementales sur la stabilité de nos sociétés peuvent être dévastatrices et impacter notre économie, la sécurité alimentaire, la santé, la qualité de vie, etc. On a pu calculer, par exemple, qu’un pourcent des décès dans le monde serait dû indirectement au déclin massif des pollinisateurs, à travers la perte de productivité agricole des cultures qui dépendent des pollinisateurs et l’appauvrissement du régime alimentaire. 

 

3. VISER UNE TRANSFORMATION SYSTÉMIQUE

La pollution, la perte de biodiversité et le changement climatique sont des problèmes globaux et systémiques. Ces crises sont largement enracinées dans le fonctionnement de nos sociétés de consommation industrielle et dans la structure de notre organisation politique dont le socle repose sur l’exploitation des ressources naturelles. Nous devons adopter des changements transformatifs de nos sociétés et politiques qui ne s’opèrent pas rapidement (notamment le système financier et économique global), vers un monde où la nature est protégée, restaurée et exploitée de façon organisée, soutenable et équitable.

La pensée linéaire historique, qui a permis à l’humanité de (trop) croître jusqu’ici, ne suffit plus. L’approche « en silos » associée à cette pensée linéaire peut se montrer contre-productive lorsqu’elle déstabilise un système par défaut de prise en compte des effets qu’induit, sur ses différentes composantes, une action visant l’une d’entre elles. Les systèmes humains et naturels, inscrits dans le « système Terre », sont complexes et intimement liés. Ignorer cette réalité, c’est se condamner à poser des emplâtres sur une jambe de bois.

 

4. REVOIR NOS CROYANCES

Nous le savons maintenant, nous devons interroger certaines croyances qui imprègnent notre société :

  • croyance en la possibilité de poursuivre une croissance illimitée dans un monde fini, qui constitue une sous-estimation de la capacité que possède l’humanité de perturber le système Terre ;
  • croyance en la possibilité de corriger les dommages environnementaux grâce à la seule technologie sans modifier le fonctionnement de notre société, qui constitue une surestimation de la capacité de contrôle de l’humanité.
  • croyance en la consommation de masse comme garante de notre bien-être, de notre prospérité et de notre bonheur. 

Sans aborder ces obstacles culturels, sans arriver à changer la définition commune du progrès ou de ce qu’est la prospérité, la préservation d’un environnement viable risque fort de rester une composante marginale ou insuffisante des politiques mises en œuvre.

Une fois le diagnostic posé, nous devrons collectivement identifier puis démonter les processus qui nous ont amenés à ces croyances (publicité, marketing, cursus scolaire, etc.).

Une évolution des normes sociales est donc nécessaire : ensemble, nous devrons apprendre à développer des valeurs de respect, de responsabilité, de solidarité, d’engagement et de sobriété. Au-delà, c’est notre relation à la nature et au monde qui doit faire l’objet d’une réflexion et d’une action éducative, ceci aussi pour redéfinir la manière dont nous coexistons avec le vivant. 

La transformation environnementale de notre Région nécessite de transcender les luttes partisanes et idéologiques et devra puiser dans les différents courants de la pensée politique, comme le libéralisme (le rôle central de l’individu, de l’entrepreneuriat au sens noble, de la liberté individuelle) ou le socialisme (le rôle renforcé de l’État, une logique de transformation planifiée, la nécessité de réintégrer plus de collectif, l’égalité comme valeur indépassable), et bien sûr, le courant écologique, visant à intégrer nature et humanité dans une approche consciente des limites planétaires.

 

5. ACTIVER LA SOBRIÉTÉ

L’ampleur du défi climatique, de la préservation de la biodiversité et de la limitation des pollutions implique l’utilisation de différents leviers à notre disposition :  le développement de technologies innovantes permettant d’améliorer l’efficacité avec laquelle nous produisons et consommons des biens et services, mais aussi les leviers de changement de comportement et d’habitude, c’est-à-dire la sobriété. Comme la plupart des comportements sont avant tout déterminés par l’organisation de la société, il est évident que l’activation de cette sobriété ne relève pas uniquement de la responsabilité de l’individu mais implique la mise en œuvre d’un cadre qui permet/promeut les comportements en ligne avec cet objectif de sobriété. 

Dès lors, bon nombre des mesures proposées sont collectives (transport en commun, aménagement du territoire plus sobre, etc.) avant d’être individuelles. Elles visent à se débarrasser du superflu tout en assurant l’essentiel pour tou·te·s. On l’a vu pendant la crise de la COVID, la notion d’essentiel et de superflu est des plus subjectives. Il est donc fondamental que le choix des mesures soit réalisé de manière démocratique, tant pour les mesures technologiques que pour les mesures de sobriété. 

Dans notre matrice d’efficacité sociale et environnementale, nous identifions certaines activités actuelles qui sont plus polluantes que d’autres (axe vertical); ces activités peuvent aussi être classées en fonction de leur caractère plus ou moins vital (axe horizontal), même si les perceptions peuvent varier en la matière (exemples donnés à titre illustratif).

Quatre zones d’action différentes apparaissent pour les pouvoirs publics :

  • des activités à rendre accessibles pour tous (zone verte) ;
  • des activités à transformer et réduire tout en garantissant un accès aux alternatives pour que les besoins vitaux soient satisfaits de manière continue (zone jaune) ;
  • des activités qui peuvent et doivent être plus directement limitées (zone rouge) ;
  • des activités à soutenir et qui font du bien, même si elles sont moins stratégiques (zone bleue).
Matrice d’efficacité environnementale et sociale

6. CHANGER L’INFRASTRUCTURE

Contrairement à une idée régulièrement répandue, notre société n’est pas de plus en plus virtuelle. Toutes nos activités (y compris les activités digitales) dépendent de l’existence d’un large réseau d’infrastructures très impactantes pour notre environnement : approvisionnement et production de biens, réseaux énergétiques ou d’information, etc.

L’exemple emblématique est le développement d’une économie dite dématérialisée. Derrière nos nouveaux « besoins » IT se cachent des serveurs :  rien qu’à l’échelle wallonne, 4 % des consommations d’électricité), des réseaux, des besoins d’énergie, etc. Autre exemple, notre dépendance à la voiture individuelle est aussi corrélée à la dispersion de notre habitat et des lieux de vie (commerces, culture, école). 

Pour cette raison, l’aménagement du territoire est au cœur de la transformation que nous appelons de nos vœux et constitue le pivot de notre action. L’autorité publique doit mettre en place et promouvoir les infrastructures nécessaires à la satisfaction des besoins de la population (transport public, production industrielle durable) tout en freinant/stoppant le développement d’infrastructures polluantes et/ou superflues (infrastructures routières et aéroportuaires, réseaux et équipements énergétiques fossiles). 

Il est contradictoire de demander aux citoyen·ne·s de réduire certains usages et en même temps développer une infrastructure qui les rende dépendant·e·s à ces usages.

 

7. METTRE LE·A CITOYEN·NE AU COEUR DE LA TRANSFORMATION

La vision politique qui sous-tend ce mémorandum est clairement celle d’une redynamisation de la démocratie. Nous souhaitons renforcer la capacité d’un système démocratique, qui valorise la liberté de chaque citoyen·ne, à mettre en place les transformations sociales, culturelles, politiques et économiques nécessaires. 

De tout temps, la préservation des libertés est passée par la limitation des capacités de destruction. S’il était permis de brûler la maison de son·a voisin·e, la liberté des pyromanes serait un peu plus grande, mais celle de tous les autres serait nettement réduite. Aujourd’hui, le niveau accumulé de destruction environnementale implique de poser des limites fortes, pour préserver ce qui reste de notre habitat commun et notre capacité à y vivre librement. Notre démocratie doit prendre ses responsabilités, si elle veut perdurer.

 

8. LE RÔLE CRUCIAL DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE

La transformation nécessaire exige une autorité collective qui soit capable de coordination des actions des différent·e·s acteur·rice·s, de planification (c’est-à-dire fixer le cadre et les objectifs poursuivi collectivement), de fixation des règles du jeu claires et enfin d’accompagnement via les différents outils à disposition des autorités, aussi bien coercitifs (réglementaire) que incitatifs (soutien aux comportements vertueux). 

L’autorité publique devra aussi garantir qu’aucun·e citoyen·ne n’est laissé·e sur le côté grâce à une sécurité sociale efficace et inclusive et que chacun·e ait accès à un environnement sûr, à une éducation et à un système de santé performants. 

Une transformation écologique socialement juste implique dès lors forcément un rôle sans doute plus central pour l’État. Dans ce cadre, un juste équilibre et une complémentarité devront être maintenus entre initiatives individuelles, citoyennes ou privées, d’une part, et action publique, d’autre part. 

Pour remplir son rôle, l’État aura besoin des moyens financiers et humains nécessaires. La question de son financement, notamment via la fiscalité, est donc une question importante pour la protection environnementale. Mais cela implique aussi que l’État devra se réinventer pour assumer sa mission, notamment en étant plus efficace et agile. La transformation écologique est donc aussi affaire de gouvernance publique. 

 

9. METTRE LA JUSTICE SOCIALE AU COEUR DE LA TRANSITION

Les objectifs de protection de l’environnement et de justice sociale ne peuvent être séparés l’un de l’autre. 

La justice sociale fait partie intégrante de la vision de Canopea et du mouvement environnemental que nous représentons. L’équité et la solidarité, dans les efforts à fournir autant que dans le partage des fruits de la prospérité, nous semblent essentiels pour garantir une cohésion sociale et avancer efficacement dans la transition. Par ailleurs, les catastrophes environnementales touchent déjà en majorité les publics les plus précarisés/vulnérables alors qu’ils y contribuent le moins. Les personnes au statut socio-économique inférieur qui vivent, travaillent et/ou vont à l’école dans les quartiers les plus pollués (bruit, air, etc.), sont les plus exposés à l’augmentation de la température dû à l’effet des îlots de chaleur (EEA, 2018) et ont le moins accès à la nature et à des espaces verts de qualité.

Il s’agit dès lors de mettre en place des mécanismes de solidarité permettant à chacun·e de vivre dignement, et de mieux encaisser collectivement certains chocs inévitables, y compris dans une vision plus large du monde, et particulièrement pour les populations vulnérables du Sud.

Pour combiner les contraintes sociales et environnementales, il serait bon de s’inspirer du cadre conceptuel de la « doughnut economy » qui vise à intégrer le plafond écologique et le plancher social entre lesquels les activités économiques se développent harmonieusement. Ce cadre nous incite à restreindre ce qui est néfaste pour le développement du vivre ensemble, tout en accélérant les investissements et les créations d’emploi dans les secteurs d’avenir durables.

Enfin, il est crucial d’accompagner les travailleur·euse·s et les entrepreneur·euse·s dans la transformation de l’industrie et des entreprises (voir la section Industrie pour notre appel à une vision industrielle), notamment pour les aider à se réorienter vers les secteurs qui permettront de vivre durablement sur cette planète. La transition juste est au cœur de notre vision.